Short Description
La justice du Prophète (paix et salut à lui) envers les non-musulmans se manifestait également par le fait qu’il ne reprochait jamais à un groupe la faute d’un individu et qu’il ne prononçait pas de jugements collectifs
. Chaque groupe comporte en effet des bons et des mauvais, des justes et des traîtres : le Prophète (paix et salut à lui) ne punissait jamais personne pour le crime d’un autre, quelle que pût être la gravité du crime. Allah dit en effet : « Chacun est tenu pour responsable de ce qu’il a accompli »[1] et « Nul ne portera le fardeau d’un autre. »[2]
On trouve un exemple particulièrement marquant de ce comportement du Prophète (paix et salut à lui) dans l’incident impliquant `Amr ibn Umayya ad-Damrî[3] après l’événement de Bi’r Ma`ûna.[4] Voici le résumé de l’épisode tel qu’il est rapporté par Anas : Ri`l, Dhakwân, `Usayya et les Banû Lahyân allèrent trouver le Prophète (paix et salut à lui) en prétendant être devenus musulmans et demandèrent que des émissaires soit envoyés avec eux en renfort. Le Prophète (paix et salut à lui) envoya un groupe de soixante-dix des Ansâr. Anas a dit : « Nous les appelions les lecteurs, le jour ils allaient chercher du bois et la nuit ils priaient. » Ils partirent donc avec les émissaires, mais arrivés à Bi’r Ma`ûna ceux-ci les trahirent et les massacrèrent. Pendant un mois, le Prophète (paix et salut à lui) fit des invocations durant ses prières contre Ri`l, Dhakwân et les Banû Lahyân.[5]
Ce massacre était une catastrophe pour les musulmans : soixante-dix éminents Compagnons furent victimes de cette trahison. Le chagrin et le regret du Prophète (paix et salut à lui) furent tels qu’il invoqua Allah contre les traîtres pendant un mois entier : ce n’est pas un fait habituel dans sa vie, et c’est peut-être même la seule fois où son chagrin fut aussi intense. Un seul Compagnon échappa au massacre, `Amr ibn Umayya que `Âmir ibn Tufayl[6] libéra parce que sa mère devait la libération d’un captif. `Amr ibn Umayya retourna à Médine et rencontra sur son chemin deux polythéistes de la tribu des Banû `Âmir, un clan des Banû Sulaym qui avaient massacré les soixante-dix Compagnons. `Amr ibn Umayya jugea bon de les tuer pour venger la mort de ses compagnons : il les tua donc avant de s’apercevoir qu’ils possédaient un laissez-passer de la part du Prophète (paix et salut à lui). Il alla trouver le Prophète (paix et salut à lui) et lui raconta ce qui s’était passé. Comment celui-ci réagit-il ?
Le Prophète (paix et salut à lui) mit complètement de côté son chagrin et laissa sa religion et sa raison guider son jugement, et non pas ses sentiments et ses passions. Il dit à `Amr ibn Umayya : « Tu as tué deux hommes, je vais payer le prix du sang. »[7] Il décida donc de payer le prix du sang à leurs familles !
Il ne se dit pas que les autres avaient trahi leur engagement et tué soixante-dix hommes, et qu’il avait donc le droit de trahir son engagement à son tour et de tuer deux de leurs hommes. Nul ne peut être blâmé pour la faute d’un autre. Les deux hommes de la tribu des Banû `Amir n’avaient commis aucune faute, ils ne méritaient pas d’être tués et le Prophète (paix et salut à lui) s’était engagé à les protéger : ils n’auraient jamais dû être tués, quoi qu’il fût arrivé.
Or, la crise politique n’était pas la seule conséquence du meurtre des soixante-dix Compagnons : Médine traversait d’autres crises, qui auraient pu influencer la décision prise. En particulier, elle connaissait une crise économique, avec une période d’intense pauvreté. Ces événements se déroulaient, en outre, deux mois après la défaite d’Uhud. Il était donc très difficile de réunir la somme nécessaire au paiement du prix du sang. Le Prophète (paix et salut à lui) devait faire appel à l’aide des juifs pour rassembler la somme voulue, conformément à l’accord qui les liait : il risquait alors une autre crise avec les juifs à cause de cette demande.
C’était donc une situation complexe où de nombreuses crises venaient s’additionner.
Ce n’était pas uniquement les facteurs affectifs qui pouvaient peser sur la décision, mais également des facteurs économiques et politiques. Cependant, le Prophète (paix et salut à lui) tint à acquitter le prix du sang. Il fit effectivement appel aux Banû an-Nadîr à qui il demanda de participer au paiement comme le requérait l’accord liant les juifs et les musulmans : cette visite du Prophète (paix et salut à lui) aux Banû an-Nadîr – qui tentèrent alors de l’assassiner – fut l’incident qui déclencha la campagne contre les Banû an-Nadîr, comme le rapporte la sîra.[8]
A-t-on vu un tel degré de justice dans l’histoire du monde, ancienne ou moderne ?
Qui peut encore prétendre que le Prophète (paix et salut à lui) ne reconnaissait pas ou ne respectait pas les non-musulmans, ou qu’il n’était pas juste envers eux ?
Beaucoup considèrent des récits tels que ceux rapportés dans ces pages comme imaginaires ou légendaires : et pourtant, l’islam réalise des choses qui vont au-delà de ce que l’imagination peut rêver.
Ainsi, l’attitude du Prophète (paix et salut à lui) lors du meurtre injustifié des deux hommes de la tribu des Banû `Âmir n’est qu’une goutte d’eau dans la mer par comparaison à ce qu’il fit avec les biens des Mecquois dont il avait la garde avant d’émigrer à Médine.
L’épisode est bien connu mais il mérite qu’on s’y arrête afin d’en méditer la portée.
Les Mecquois faisaient confiance au Prophète (paix et salut à lui) plus qu’à quiconque, c’est pourquoi ils lui donnaient à garder leur argent ou leurs biens précieux. Il n’y a rien d’étonnant à cela, car il était connu comme l’homme sincère et digne de confiance par excellence. Même alors qu’il était persécuté et qu’on le traitait de magicien, de menteur, de sorcier, de poète, etc., les gens continuaient à lui confier la garde de leurs biens ! Quant à lui, il ne refusait pas de leur rendre ce service malgré leur hostilité à son égard.
Puis les musulmans émigrèrent à La Mecque, laissant leurs maisons et leurs biens. Ils partaient chassés de chez eux, dépouillés et opprimés, et la persécution à leur égard avait dépassé toutes limites. Le Prophète (paix et salut à lui) vécut une expérience douloureuse, obligé de fuir le lieu qu’il aimait le plus, comme il l’a exprimé en disant : « Je sais que tu es la meilleure terre d'Allah et la terre la plus aimée d'Allah, et si ce n’était que tes habitants m’ont chassé je ne t’aurais pas quittée. »[9] Malgré toutes ces douleurs, le Prophète (paix et salut à lui) veilla à se comporter avec la plus grande justice. Il laissa à `Alî ibn Abî Tâlib les biens et l’argent qui lui avaient été confiés, en lui demandant de les rendre à leurs propriétaires. `Alî resta trois jours de plus à La Mecque afin de s’acquitter de cette mission.[10]
Je ne pense pas qu’un être humain sur terre ait jamais pu atteindre le degré de justice et de vertu que possédait le Prophète (paix et salut à lui).
Tout être humain à sa place aurait trouvé mille bonnes raisons pour garder ces biens au lieu de les rendre à leurs propriétaires. Il aurait justifié cela en disant que ces gens avaient volé ses propres biens et ceux des musulmans, qu’ils avaient confisqué leurs maisons, et que ceci compensait cela. Il aurait pu encore le justifier en disant qu’il partait contraint et forcé ; que ces gens avaient comploté de le tuer, et que seul un miracle de dernière minute lui avait permis de leur échapper avant qu’ils n’exécutent leur plan criminel. Il aurait pu encore se dire qu’il garderait cet argent pour servir la cause de l’islam, durant ces premiers temps difficiles à Médine. Il aurait pu trouver de nombreux autres prétextes auxquels la plupart des gens auraient pensé.
Certes, les motifs sont nombreux pour faire ce dont on a envie, mais en examinant la situation en toute objectivité, en dehors de tout penchant ou désir personnel, on se rend compte sans le moindre doute possible que tous ces motifs ne tiennent pas. Le bon droit apparaît clairement, mais la pratique de la justice nécessite des âmes d’exception et des volontés extraordinaires. Ces polythéistes qui avaient confié leurs biens au Prophète (paix et salut à lui) l’avaient fait sur la base d’un accord de confiance : selon cet accord, le Prophète (paix et salut à lui) devait veiller plus fidèlement sur ces biens que leurs propres parents. Il ne devait les trahir sous aucun prétexte, malgré toutes les persécutions endurées. La justice exigeait qu’il ne fasse pas porter à ceux qui lui avaient confié leurs biens le poids de la faute de ceux qui avaient essayé, et essayaient toujours, de le tuer. Tandis que les Mecquois se préoccupaient de le chasser et de le tuer, lui se préoccupait donc de leur rendre leurs biens !
Ils étaient au summum de la traîtrise tandis qu’il était au summum de la fidélité…
Ils étaient idolâtres, il était le Messager du Seigneur de l’univers !
La distance qui les séparait était plus grande que celle entre le ciel et la terre.
Le plus admirable dans tout cela, c’est que le Prophète (paix et salut à lui) agissait ainsi en toute discrétion, sans chercher à se faire valoir : il ne passait pas son temps à raconter ce qu’il avait fait, il ne demandait pas aux poètes parmi ses Compagnons de vanter ses actions et ses comportements… Cela n’avait pas d’importance parce qu’il n’agissait que pour Allah, qui lui avait demandé de se parer des plus nobles vertus. Il n’espérait des hommes ni salaire ni remerciement : « Dis : Je ne vous demande pour cela aucun salaire, et je ne suis pas de ceux qui cherchent à s’imposer. »[11]
Paix et salut à toi, le plus juste des hommes et le plus noble des prophètes et des envoyés.
[1] Sourate 74, al-Muddaththar, verset 38.
[2] Sourate 6, al-An`âm, verset 164.
[3] `Amr ibn Umayya ad-Damrî était un homme très audacieux que le Prophète (paix et salut à lui) envoyait pour diverses affaires. Il fut impliqué dans l’événement de Bi’r Ma`ûna et fait prisonnier par les Banû `Âmir ce jour-là. Le Prophète (paix et salut à lui) l’envoya appeler le Négus à l’islam en l’an six de l’hégire, lui faisant porter une lettre, et le Négus devint musulman. Voir Ibn al-Athîr, Asad al-ghâba 3/689, et Ibn Hajr, al-Isâba, titre n°5765.
[4] Bi’r Ma`ûna était un puits entre le territoire des Banû `Âmir et celui des Banû Sulaym, plus proche des Banû Sulaym. Selon certains, il était sur la route de Médine à La Mecque, et plus près de chez les Banû Sulaym. C’est là que se produisit l’épisode d’ar-Rajî`. Voir Yâqût al-Hamawî : Mu`jam al-buldân, 1/302.
[5] Al-Bukhârî, Livre du jihâd et des expéditions, chapitre : « Les renforts » (2899) ; Ahmad (13708) ; al-Bayhaqî (2915).
[6] `Âmir ibn Tufayl était un des chefs de la tribu des Banû `Âmir ; il avait refusé l’islam et menacé le Prophète (paix et salut à lui) de lui faire la guerre, et le Prophète (paix et salut à lui) invoqua Dieu contre lui. Il était de ceux qui avaient trahi les musulmans lors du massacre de Bi’r Ma`ûna où soixante-dix Compagnons tombèrent martyrs. Il mourut à la suite de l’invocation du Prophète (paix et salut à lui).
[7] Az-Zayla`î, Nasb ar-râya, 4/396 ; Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya, 4/85.
[8] Al-Bukhârî, Livre des expéditions militaires, chapitre : « La visite du Prophète (paix et salut à lui) aux Banû an-Nadîr pour qu’ils l’aident à payer le prix du sang de deux hommes, et comment ils tentèrent d’assassiner le Prophète (paix et salut à lui) ». Voir at-Tabarî, Târîkh al-umam wal-mulûk 2/83, et Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya 4/84.
[9] At-Tirmidhî d’après `Abdallâh ibn `Udayy az-Zuhrî (3925). Abû `Îssa qualifie ce hadîth de bon, isolé et authentique. Rapporté également par Ahmad (18737), ad-Dâramî (2510), al-Hâkim (5220), an-Nasâ’î dans ses Sunan al-kubrâ (4252) ainsi que dans Mishkât al-masâbîh (2725). Selon al-Albânî, le hadîth est authentique. Voir Sahîh al-jâmi` (7089).
[10] Ibn Kathîr, as-Sîra an-nabawiyya 2/270 ; Ibn Hishâm, as-Sîra an-nabawiyya 2/21 ; al-Mubârakfûrî, ar-Rahîq al-makhtûm, p. 161.
[11] Sourate 38, Sad, verset 86.
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